Le crime du Corail Lunéa

Publié le par J. M.

Nice-Paris. Bien entendu, j'arrive en avance à la gare. Un train est stationné sur le premier quai mais, vu que le numéro de la voie n'est pas indiqué sur le panneau d'affichage, j'attends. C'est un Lunéa. J'ai une heure d'avance, rien ne vient. Finalement, après trois quarts d'heure d'attente, le numéro, ou plutôt la lettre, de la voie sur laquelle je dois me rendre d'affiche. Voie A, la voie sur laquelle un train attend depuis près d'une heure. Apparemment je n'étais pas le seul dans l'expectative car à l'annonce de cette information, une trentaine de personne se masse aux portes du train. On contrôle mon billet et m'indique ma voiture, la 18, l'avant dernière. Heureusement que l'on me précise ce dernier détail car, à ma grande surprise, le numéro du wagon n'est pas indiqué sur sa façade. J'y entre, et trouve difficilement mon siège dans l'obscurité ambiante. Finalement, entre le 22 et le 46, je trouve le numéro 33. Une grande démonstration de logique des cheminots français. "33 couloir". Je m'installe. Le train est arrêté, il n'est que 21 heures mais nous sommes déjà dans le noir. Un homme semble chercher son siège depuis plusieurs minutes puis il s’adresse à moi et me demande si le 31 se situe à côté de moi, près de la fenêtre, je lui réponds que je ne sais pas mais il décide de s’installer. Une bande de jeunes entre dans le wagon à son tour, ils doivent être Turques ou Ouzbek, je ne sais pas, mais leur physique est un mélange de chinois et d’Arabe. Je ne peux m’empêcher de les assimiler à Elias, le héro d’Eden à l’Ouest de Costa-Gavras, jeune immigré clandestin cherchant à tout prix à rejoindre Paris afin de fuir la misère de son pays. Sale idée reçue, je sais. Nous sommes peu dans le wagon et le silence règne. Chacun observe ses co-voyageurs comme pour les jauger, repérer le ronfleur, repérer l'insomniaque, se demander s'il restera des places vacantes sans personne à côté de soi. Ou peut-être n'est-ce que moi.

 

Puis ce qui devait arriver arrive… Un téléphone sonne. Et là, chacun empoigne son téléphone, appelle tata Jeannine ou papy Marcel. S’en suivent d’interminables conversations vides et creuses, des éclats de rire, des bruits de toute sorte. Le train n’a pas encore démarré. L’un des jeunes « Elias » enlève ses chaussures. L’asiatique assise près de lui se lève et s’en va. « Elle est un peu neuneu », c’est ce que je me dis. Mais là, une poignée de secondes plus tard, l’odeur prend mon nez. Cette odeur de pieds transpirants et puants, les chaussettes datant d’une semaine. Chacun tenant à voyager en paix. Personne ne fait de réflexion.

 

Ca y est, le train démarre. Le conducteur du train fait une annonce micro : « Mesdames et messieurs, bienvenue dans ce Corail Lunéa à destination de Paris Auster ». Paris Auster… Paris austère ? Je n’espère pas. Puis, après une dizaine de minutes, alors que chacun tombe peu à peu dans les bras de Morphée et que d’autres font la connaissance du marchand de sable, c’est le 14 juillet dans le train. Toutes les lumières s’allument, toutes sans exception. Les voyageurs ont des petits yeux, se regardent tous l’un l’autre comme pour chercher le fautif. Le temps passe et je remarque que la majorité des places sont vides. Au moment où je me décide à changer de place, le train ralentit puis s’arrête. Deux types, des vieux beaux, entrent. Ils virent l’un des jeunes ouzbeks de son siège sous prétexte qu’il prend leur place. Le jeune s’exécute. Il s’avèrera en fait plus tard qu’ils s’étaient trompés de voiture. Leur roulement de mécaniques, leur manière de parler, pardon, de hurler me rend dingue ! D’autres personnes suivent et s’installent. Je garde donc ma place.

 

Le train reprend sa route, s’arrête, reprend sa route, s’arrête… Nous nous arrêtons ensuite à Toulon. J’aimerais sortir fumer une cigarette mais j’attendrai d’être à Marseille, j’aurai sûrement plus de temps. Je reste donc à ma place. J’ai très faim, je me lève et avance jusqu’au distributeur automatique. Le choix n’est pas très varié : chips, bonbons, kinder, barres chocolatées en tout genre pour ce qui est de la nourriture, et, pour ce qui est des boissons, on peut trouver de l’Ice Tea, de l’Orangina, du Coca Cola et autres sodas pour la coquette somme de 2,50 €. L’eau coûte quant à elle 1,70 €. Je n’ai qu’un euro sur moi et me rabat donc sur la seule gourmandise que je peux m’offrir, un paquet de bonbons. Je regrette aussitôt mon choix. Ces bonbons, au goût, semblent être un mélange de liquide vaisselle et d’aérosol désodorisant pour toilettes. Je me force à en manger quelques un car je n’ai pas dîné mais je finis par jeter le paquet quasiment plein. Heureusement, j’ai pu me consoler avec la bouteille de Badoit que j’avais acheté à la gare (2 €). Je reste là, dans le couloir près des couchettes, je regrette de ne pas avoir opté pour ce choix et je regarde le paysage. Enfin, j’essaye de le distinguer car, avec les lumières allumées, le reflet rend toute tentative désespérée. Trois ou quatre personnes sont devant la porte du point info. L’employé de la SNCF, pour ne pas l’appeler le fonctionnaire leur accorde un petit temps de réponse à chacun, mais je n’écoute ni les questions ni les réponses. Puis lorsqu’il s’en va, il est interpelé par un jeune black. Le jeune lui pose une question, le fonctionnaire (je me permets de l’appeler comme ça vu ce qui va suivre) a été beaucoup moins aimable qu’avec les autres curieux et l’a envoyé chier sans scrupules puis s’en est allé.

 

Je retourne à ma place et, alors que je me lance dans une lecture, les lumières s’éteignent. Je range donc mon livre et je reste assis là, à ne rien faire. Je me relève donc et croise un agent de contrôle ou qui occupe je ne sais quelle autre fonction. Je lui demande quel est le prochain arrêt. « Toulon » me répond-elle. Je l’informe qu’on s’y est déjà arrêté, même si elle devrait être au courant. « Alors c’est Paris ». Je lui demande donc sans grand espoir s’il y a un wagon fumeur. Elle me répond, comme je m’y attendais par la négative et me regarde avec un sourire niais comme si elle s’adressait à quelqu’un qui venait d’une autre planète et qui ne comprendrait pas la logique de sa réponse. Elle reste plantée là, à me toiser et garde ce sourire agaçant sur le visage. « Merci » lui dis-je, elle est s’en va.

Sachant donc que Toulon était le dernier arrêt, je m’engage donc dans la recherche d’une double place disponible afin de pouvoir dormir plus ou moins confortablement. Plus moins que plus d’ailleurs car une fois cette place trouvée, j’ai beaucoup de mal à trouver le sommeil. Ne réussissant définitivement pas à m’endormir, je regarde le paysage, plus visible cette fois car il n’y a pas de reflets grâce à l’absence de lumière. Tout à coup, j’entends une voix dans mon dos : « Messieurs, dames, nous allons procéder au contrôle de vos titres de transports ». Il est minuit, nous avons effectué notre dernier arrêt il y a plus d’une heure trente mais c’est alors que le wagon a trouvé une certaine tranquillité que les lumières du XXIème siècle se décident à effectuer un contrôle. Les contrôleurs réveillent les passagers uns à uns à l’aide de coups brusques sur l’épaule, le bras ou la jambe. Les passagers, anesthésiés par le sommeil ont tous un petit temps de réaction avant de présenter leurs billets puis, une fois le contrôle effectué, les responsables de ce réveil nocturne quittent le wagon sans un merci, un bonne nuit ou tout simplement un au revoir.

 

Les voyageurs retombent petit à petit dans le sommeil. Tout est calme. Moi, je suis toujours collé à ma fenêtre, je regarde toujours le paysage mais je suis arraché à mon songe par un bruit infernal. Une sonnerie de téléphone aigüe qui réveille la moitié des passagers de la voiture 18 qui, comme un seul homme, se retourne vers le propriétaire du téléphone cellulaire pour le fusiller du regard. Le pauvre homme ne daigne même pas se réveiller. Chacun reprend le cours de sa petite vie, rattrape le train du sommeil et oublie cet épisode désagréable, qui devient fastidieux puisque l’opération se répète trois fois.

 

Il doit être deux ou trois heures du matin mais je ne dors toujours pas. Je sors un magazine et lis une ou deux chroniques puis les bâillements se font récurrents et à intervalles de plus en plus réduits. Sans même m’en rendre compte, je m’endors.

 

Une ou deux heures plus tard, je suis réveillé par la soif. Nous sommes maintenant en Île de France, sinon pas loin car je reconnais les pavillons. Ces horreurs, ces crimes architecturaux que sont ces villas maussades, usées par le temps, accompagnées d’un minuscule jardin complètement dérangé face aux pâturages, me rebutent. Je me promets de ne jamais vivre dans une telle maison. Arrive la Seine. Peut-être la Marne. Je ne sais pas vraiment. Mais cette image me plaît, j’aime l’eau, les cours d’eau, les étendues d’eau. Le plaisir de mes yeux est de courte durée car une zone industrielle s’étale maintenant sous mes yeux. D’immenses cheminées crachent une fumée qui se confond avec les nuages, les bâtiments sont gris. La zone est moins attrayante qu’un manoir hanté où je me sentirais mieux je pense. Elle ressemble à une ville fantôme dont les machines continuent de tourner. Après cela, je vois enfin ce que j’espérais voir : la neige. Le train roule au milieu de nulle part, et des petits tas de neige s’amassent ici et là. Mais encore une fois, le plaisir visuel et le bien être que me procure cette image s’arrête brutalement à la gare Corbeil-Essonnes.

Quelques dizaines de minutes plus tard, nous arrivons enfin à la gare de Paris Austerlitz où règnent un silence et un calme étrange. Il est très tôt le matin. Je sors dans le froid parisien, allume une cigarette et lève la tête. La magnificence de l’ancienne Lutèce, capitale des arts et du peuple français, me fait oublier le mauvais souvenir qu’a été ce voyage.

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J
<br /> prick<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Bof, vmt pas convaincu.<br /> <br /> <br />
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